Le décret est arrivé … Tout le monde n’est sans doute pas satisfait !
- 25 février 2017
- Thi-Ly NGUYEN
Des précisions sur le financement et la gestion mutualisée des prestations liées au Degré Elevé de Solidarité qui réduisent potentiellement l’espace des Assureurs non Recommandés.
Le compte est bon !
Il y a tout d’abord eu le décret du 11 décembre 2014 sur les garanties collectives devant présenter un degré élevé de solidarité puis celui du 8 janvier 2015 relatif à la procédure de mise en concurrence des organismes dans le cadre de la recommandation et enfin celui du 24 juin 2015 précisant le contenu du rapport annuel avec des informations sur la mise en œuvre du régime, sur le contenu des éléments de solidarité et sur l’équilibre général du régime.
Après de nombreux mois d’attente, des propositions discutées, modifiées et remodifiées, ce samedi 11 février, les règles se sont enfin précisées pour l’ensemble des acteurs sur le financement et la gestion mutualisée des prestations liées au Degré Elevé de Solidarité, avec la publication du décret n°2017-162 du 9 février 2017 instituant un nouvel article R.912-3 du Code de la sécurité sociale.
Ce que dit le texte
Lorsqu’ils mettent en œuvre les dispositions du IV de l’article L.912-1 du Code de la sécurité sociale, les accords de branches :
- Définissent les prestations gérées de manière mutualisée qui comprennent des actions de prévention ou des prestations d’action sociale
- Déterminent les modalités de financement de ces actions pouvant prendre la forme d’un montant forfaitaire par salarié, d’un pourcentage de la prime ou de la cotisation ou d’une combinaison des deux
- Créent un fonds alimenté comme indiqué ci-dessus et finançant les prestations mutualisées
- Précisent les modalités de fonctionnement du fonds, notamment les conditions de choix du gestionnaire chargé de son pilotage par la commission paritaire de branche.
L’entrée en vigueur est immédiate et s’applique donc à l’ensemble des accords qui sont conclus ou renouvelés depuis le dimanche 12 février 2017.
L’analyse juridique
On sait déjà que le I de l’article L.912-1 du Code de la sécurité sociale, précise que les accords professionnels ou interprofessionnels peuvent prévoir des garanties présentant un degré élevé de solidarité, au sens de l’article R.912-1 du même code, ainsi que leur financement qui doit être au moins égal à 2% de la cotisation. Dans ce cas, les partenaires sociaux peuvent recommander un (ou plusieurs) organisme(s) assureur(s), à l’issue d’une procédure de mise en concurrence.
Le IV de cet article L.912-1 leur permet également de prévoir que certaines des prestations nécessitant la prise en compte d’éléments relatifs à la situation des salariés ou sans lien direct avec le contrat de travail les liant à leur employeur sont financées et gérées de façon mutualisée pour l’ensemble des entreprises entrant dans leur champ d’application.
Deux types d’accords pourront exister : ceux comportant uniquement des prestations présentant un degré élevé de solidarité au sens du I de l’article L.912-1 et ceux visant expressément le IV de l’article L.912-1 comportant des prestations mutualisées dans un fonds géré par un gestionnaire choisi par la commission paritaire, sans que le texte n’impose de procédure de mise en concurrence. Les accords devront toutefois préciser les conditions du choix de ce gestionnaire. Toutes les entreprises de la branche devront participer au financement du fonds mutualisé, même celles qui auront choisi de ne pas adhérer à un organisme assureur recommandé.
Ce décret laisse de nombreuses questions, mais apparaît également source d’opportunités :
- Le gestionnaire du fonds mutualisé n’est pas nécessairement un organisme assureur, ce qui laisse la place à d’autres intervenants, voire la possibilité de créer une structure ad-hoc.
- Quelles seront les prestations gérées et financées dans le fonds mutualisé ? Concerneront-elles toutes les prestations présentant un degré élevé de solidarité au sens du I de l’article L.912-1 ? Rien n’est moins sûr, le IV de l’article L.912-1 visant « certaines » des prestations qui « nécessitent la prise en compte d’éléments relatifs à la situation des salariés ou sans lien direct avec le contrat de travail » et le nouvel article R.912-3 prévoyant que les prestations mutualisées peuvent être financées soit par une cotisation forfaitaire par salarié, soit par un pourcentage « des 2% », soit par une combinaison des deux.
- Comment les partenaires sociaux se saisiront-ils de ce décret ? Va-t-on assister à une généralisation des prestations du IV de l’article L.912-1 ? ou bien laisseront-ils aux entreprises la liberté initiée par l’article L.912-1 ?
Un décret qui change radicalement la donne ?
Ce qui se joue là, est important. Les différents acteurs ne s’y sont pas trompés qui, depuis de nombreux mois, ont joué de leur influence pour rédiger le décret dans le sens de leur intérêt.
D’un côté les organismes qui sont positionnés sur les recommandations et de l’autre côté ceux qui souhaitent exister sur le marché de la collective hors recommandations.
A ce jour, il reste deux inconnues majeures :
- le niveau de recours aux prestations du IV,
- et l’étendue des prestations et du financement du HDS qui pourrait basculer du I au IV de l’article L.912-1.
Il convient toutefois de noter que l’essentiel des accords négociés ou renégociés depuis 2015 ne fait pas mention du IV. On peut imaginer des avenants à venir …
Dans le cas, où les partenaires sociaux, à compter du 12 février 2017, introduiraient systématiquement le IV qui « consommerait » l’essentiel des prestations et des financements du Degré Elevé de Solidarité, et serait géré par le recommandé, il est vraisemblable que les assureurs recommandés retrouveraient un avantage concurrentiel majeur, avec d’une part une connaissance de l’ensemble des entreprises de la branche et d’autre part une occasion de contact très positive avec les entreprises et leurs salariés dans le cadre de l’activation de ces prestations mutualisées.
Au-delà de la complexité et du coût de la collecte de ces contributions auprès des entreprises non couvertes par le recommandé, cela pourrait conduire les assureurs qui n’iront pas sur les recommandations de branche à abandonner l’ambition d’enrichir leur promesse client autour de prestations de services financées par le HDS. En effet, le « ticket d’entrée » de cette mise en œuvre pour des acteurs qui historiquement ne faisaient pas d’action sociale est important, et deviendrait déraisonnable si l’essentiel du budget est capté par le recommandé ou la branche ou un organisme choisi par elle dans le cadre des prestations dites mutualisées.
Marie-Sophie Houis – Associée MX conseil
Caroline Letellier – Associée Esthemis Avocats